Le 12 janvier 2010, j’ai laissé ma maison à cause du tremblement de terre, ma famille et moi on s’est réfugié sur la Place Jérémie et Le Collège Roussan Camille pendant plus de 5 mois. Vivre dans les rues, dormir sous les tentes, être témoins des corps sans vie des lycéens du Lycée Jean Jacques, changer mes habits du 12 le 16, le jour de mon anniversaire était le plus beau cadeau que je ne pouvais recevoir. Quand les camions passaient avec des corps qui étaient pris au piège sous les décombres, l’odeur des corps en décomposition était mon parfum. Tout cela était ma vie de Janvier à Mai 2010.
A cette époque, je ne pensais pas qu’une autre catastrophe beaucoup plus dévastatrice, une catastrophe causée par nous, les haïtiens, pourrait se produire. Et me voici aujourd’hui, 1er septembre 2023, 13 ans plus tard je suis contrainte de laisser ma maison non à cause d’une catastrophe naturelle cette fois mais à cause des bandits qui terrorisent un peuple, brulent les maisons et tuent tous ceux sur leurs passages et l’état qui brille aux abonnés absents.
En décembre 2020, je me suis promis que je ne repasserai plus à Martissant avec l’escalade de l’insécurité, des amis se sont abrités à la maison pour pouvoir sauver leur peau. En août 2022, après l’assassinat de mon amie et sa famille, j’ai dit que la route de Tabarre et ses environs, je ne remettrai plus jamais les pieds. Et, me voilà en septembre 2023, je dois quitter ma maison encore une fois pour une date indéterminée pour ne pas finir brulée ou recevoir une ou plusieurs balles comme c’est le cas de plus d’un.
Plus de 3 ans à vivre dans cette incertitude, cette peur omniprésente, ses questionnements qui se bousculent dans mon esprit : « Est- ce demain mon tour ?, Est-ce que ce sera encore le tour d’un ami proche à nouveau? Qui sera la prochaine victime ? »
Certains laissent le pays, d’autres se dirigent vers les villes de provinces. Des amis et familles me demandent : «Pourquoi tu ne laisses pas la capitale ou le pays? »
Mais, la réponse à cette question est : « Où est-ce que je vais? Je suis née et j’ai grandi à Port-au-Prince, je n’ai pas de ville de provinces pour m’abriter. Voyager ? Mais, où ? Qui va m’accueillir? C’est un ensemble d’interrogations qui défilent quotidiennement dans ma tête et plusieurs d’entre nous à Port-au-Prince.
2hres 18 p.m, un vendredi j’aurais dû être au bureau, puis à 4 heures me déplacer pour me rendre en cours afin de préparer mon avenir, mais non je laisse ma maison sans avoir une date de retour comme le 12 janvier 2010, mais cette fois je ne trouve pas le courage de verser une larme car le découragement et la perte d’espoir ont kidnappé mon esprit.
Aujourd’hui, je comprends enfin les cris sans fin de ceux de Martissant, de Tabarre, de Pernier et tant d’autres.